La rénovation énergétique dans le bâtiment, par Bruno Mesureur

Bruno Mesureur, diplômé d’ingénierie Constructions Civiles du Cnam, ex directeur du Marketing et des Affaires Internationales au CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) et actuellement responsable du module international du Mastère Spécialisé Immobilier et Bâtiment Durables (IBD), Transitions Carbone et Numérique de l’Ecole des Ponts ParisTech, nous éclaire sur la rénovation énergétique dans le bâtiment.

Où en est aujourd’hui la France en matière de rénovation énergétique du bâtiment ?

Aujourd’hui, selon les chiffres du ministère du logement, 7 millions de logements sont mal isolés et 14 % des Français ont froid dans leur logement. Face à ces chiffres, le Gouvernement a souhaité accélérer la rénovation énergétique des bâtiments. L’objectif est double : faire baisser la facture d’énergie et réduire les consommations d’énergie des bâtiments. La SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) vise à augmenter le nombre de rénovations globales de 300 000 entre 2015 et 2030 à 700 000 entre 2030 et 2050, en se concentrant sur les passoires énergétiques en priorité. Elle vise également à augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie du bâtiment à au moins 50% en 2030 et à atteindre la sobriété énergétique dans tous les bâtiments neufs en 2040. Selon le code de l’énergie de 2015, l’objectif de la France est de « Disposer d'un parc immobilier dont l'ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes « bâtiment basse consommation » ou assimilées à l'horizon 2050.
Il y a un accord général pour dire qu’un axe majeur dans les pays européens est la rénovation globale des bâtiments existants en privilégiant la réutilisation des matériaux et éléments de construction. Toutefois, cette politique reste freinée par la nécessité de recruter et de former davantage de main d'œuvre qualifiée dans les années à venir.

Quels en sont les grands acteurs ?

On peut estimer que le succès de la transition énergétique dans le bâtiment et en particulier en rénovation repose sur 3 piliers majeurs :

  • des solutions de financement de l’économie verte et une taxonomie adaptée,
  • un accompagnement des ménages, du diagnostic à l’évaluation des résultats,
  • la disponibilité rapide d’une main d'œuvre massive et qualifiée.

Les acteurs qui jouent et vont jouer un rôle important sont :

  • L’artisan ou l’ouvrier du bâtiment qui doit être considéré comme le pivot essentiel de la transition énergétique. Notamment parce que le développement durable prend en compte dans sa définition, des critères humains dont ceux de la main d’œuvre et de la non-délocalisation des populations.
  • Les grandes entreprises (BOUYGUES, VINCI ou EIFFAGE) qui traitent la majeure partie des chantiers neufs de construction et les grands chantiers de rénovation.
  • Les organismes de financement (les banques, la banque européenne d’investissement…) et les pouvoirs publics.
  • Les différentes associations qui proposent une assistance et un conseil technique et financier pour la rénovation. On peut citer des associations telles que DOREMI, ENERTECH, négaWatt, ENERGY SPRONG, SOLINERGY ou encore de grands groupes comme  LA POSTE Groupe.
  • L’ensemble des organismes de formation publics et privés, écoles, universités, etc.
  • Le coordonnateur de travaux (qui est souvent l’architecte) qui doit coordonner les différents corps d’état et gérer les interfaces de plus en plus nombreuses est  un acteur majeur de la rénovation.

Vous intervenez aujourd’hui à l’Ecole des Ponts ParisTech dans le Mastère Spécialisé IBD. Quelles sont les attentes de vos étudiants en matière de transition écologique ? L’attractivité des métiers de la rénovation du bâtiment a-t-elle été renforcée ?

Le mastère spécialisé IBD de l’Ecole des Ponts est entièrement dédié au développement durable qui articule la culture de l’immobilier, fondée sur le droit et la finance, et la culture du bâtiment, fondée sur l’architecture et la science de l’ingénieur. En effet, l’immobilier est généralement enseigné dans les grandes écoles de gestion ou les universités d’économie, alors que le bâtiment se tourne plutôt vers les écoles d’ingénieurs. L’école des Ponts ParisTech a donc décidé de rassembler ces deux cultures sous l’égide du développement durable et c’est précisément cette hybridation des différents métiers et compétences que recherchent les étudiants.
En termes d’attractivité, le secteur du bâtiment soufre encore aujourd’hui d’une image dégradée et ce malgré les efforts notables des fédérations professionnelles (FFB, CAPEB…) pour changer cette image. Le secteur accuse encore des retards importants en matière d’innovation mais aussi de productivité si on le compare à d’autres secteurs industriels comme l’automobile ou l’aéronautique. Selon les statistiques de l’OCDE, la baisse de la productivité est de l’ordre de 20 % depuis 2001. La France fait figure de cas à part puisqu’il s’agit du pays où l’écart est le plus important avec l’industrie (127,3 % différentiel cumulé de productivité entre l’industrie et la construction sur la même période). C’est également un secteur d’activité classés parmi les derniers en termes de maturité numérique.
Il faut espérer que l’arrivée de nouveaux outils numériques (BIM, IA...) et de nouvelles technologies comme l’impression 3D dans le secteur de la construction rendra plus attractifs les métiers pour les jeunes qu’ils soient ingénieurs ou artisans. Le travail collaboratif et l’hybridation des compétences peuvent également être des facteurs positifs.

La vitesse de rénovation énergétique des bâtiments vous semble-t-elle suffisante ? Si non, comment accélérer le processus ? De quels métiers manque-t-on ?

Aujourd’hui seulement 50 000 logements sociaux sont rénovés par an, il en faudrait dix fois plus ! Et seulement 5 000 logements/maisons en cumulé sont rénovés par an alors qu’il en faudrait 350 000 ou plus. Il y a aussi un besoin important de main d'œuvre et donc de formation. 35% des gérants d’entreprises artisanales vont partir à la retraite d'ici 10 ans sans forcément trouver de repreneur.
Les perspectives d’évolution de l’emploi dans le BTP selon le rapport de la Dares sont éloquentes : ouvriers du gros œuvre (maçons, charpentiers, couvreurs, etc.), du second œuvre (menuisiers, peintres, électriciens, plombiers, etc.), conducteurs d’engins, techniciens, chefs de chantier, architectes ou ingénieurs, les métiers du bâtiment et des travaux publics s’exercent pour les trois quarts dans le secteur du BTP. Ils peuvent aussi s’exercer dans l’administration publique ou, pour les architectes notamment, dans les services.
Selon un scénario prudent du dernier rapport du groupe Prospective des métiers et qualifications de la Dares, 128 000 emplois seraient créés dans les métiers du bâtiment et des travaux publics sur la période 2012-2022. « Sur la même période, 426 000 départs en fin de carrière sont attendus. Ces départs seront particulièrement nombreux parmi les ouvriers qualifiés et les artisans. Au total, le domaine du bâtiment et des travaux publics pourrait offrir 554 000 postes à pourvoir à l’horizon 2022 ».  Or il faut noter que dans le second œuvre, près de 40 % des effectifs d’acteurs qualifiés sont des artisans. Les évolutions de l’emploi dans ces métiers au cours des prochaines années seront donc très liées à la « transmission » de ces petites entreprises artisanales.
L’activité du secteur devrait par ailleurs être stimulée par la rénovation et l’amélioration des bâtiments existants, l’adaptation des logements au vieillissement de la population et au maintien à domicile des personnes dépendantes. Cette croissance sera également liée au développement croissant des exigences et des normes de sécurité, d’accessibilité et de qualité de la construction, notamment en matière de performance énergétique. La complexification des chantiers, les avancées technologiques et la recherche de qualité globale et « durable » de la construction devraient se traduire par une montée en compétences au sein des différents métiers du bâtiment, mais aussi par des créations d’emplois qualifiés, techniciens, cadres ou ouvriers qualifiés.

Décrivez-nous votre bâtiment idéal ?

Un bâtiment récent qui répondrait aux exigences de la réglementation RE2020, c’est à dire dont le bilan énergétique annuel serait nul ou positif et qui émettrait peu de gaz à effet de serre. Mais cette vision d’ingénieur – nécessaire – n’est pas suffisante. Ce bâtiment idéal devrait être dès le départ (bio)conçu par l’architecte de façon à ce que ses occupants puissent profiter d’un très bon confort (hygrothermique, acoustique, visuel, olfactif) aussi bien en hiver qu’en été et d’une excellente qualité de l’air intérieur.
Ce bâtiment pourrait s’adapter dans le temps assez facilement et sans travaux de grande ampleur aux évolutions de ses occupants : colocataires, couple sans enfants, couple avec enfants puis adolescents et jeunes adultes, puis personne seule ou encore personne âgée valide ou ayant une mobilité réduite.
Le bâtiment idéal ne devrait plus contribuer à l’artificialisation des sols et donc ne pas être en concurrence avec les espaces naturels.
La transition numérique ayant rendu le travail à distance plus facile, le bâtiment idéal pourrait enfin répondre aux aspirations d’un nombre croissant de Français c’est à dire de vivre en dehors de grandes métropoles dans des villes petites ou moyennes.

Selon vous, qu’est-ce que l’enseignement supérieur doit mettre en œuvre pour accompagner la transition écologique et quel rôle le Cnam, en tant qu’établissement de formation professionnelle, peut-il jouer dans ce chantier ?

Selon Dominique Naert, le secteur du bâtiment ne pourra relever les défis sociaux et environnementaux auxquels il est confronté, que s’il bénéficie d’un programme cohérent et pérenne de recherche, d’innovation et fondamentalement de formation au service de l’ensemble des acteurs de la filière. Le secteur est appelé en quelques années à maitriser de nouvelles techniques de production, à s’engager vers une nouvelle organisation et à maintenir son rythme de construction (non seulement dans le neuf, mais surtout dans la rénovation).
La mutation du secteur de la construction ne pourra s’effectuer sans un changement d’échelle des moyens dévolus à la formation initiale ou continue des acteurs : ceux-ci devront se former tout au long de leur vie professionnelle.
Dans ce contexte, le Cnam a évidemment un rôle important à jouer. Il a, tout comme le MS IBD de l’Ecole des Ponts ParisTech, un atout qui est d’avoir comme élèves, en formation continue, des professionnels de différents niveaux et de différents domaines. Il peut jouer un rôle clé dans la formation des acteurs de la transition écologique et notamment dans celui de la rénovation, en permettant l’hybridation des métiers et des compétences dont nous avons parlé précédemment.